John Heartfield photomontage

 Une évolution du photomontage  liée au contexte historique

D’abord peintre il est surtout connu pour ses photomontages qui dénoncent violemment le nazisme comme membre du parti communisme allemand. Son travail est publié dans des journaux communistes. Amis de George Grosz il est admis dans le mouvement Dada en 1918 ou il se désigne volontiers par dérision comme « monteur dada ».

Le photomontage et le photogrammes montre dans un language accessible la nouvelle politique qui émerge en 1920 en Allemagne dont John Heartfield est l’un des opposants. La Nouvelle Vision s’oppose en amont et en aval à deux mouvements d’art photographique : le pictorialisme et la nouvelle objectivité. Le pictorialisme dominait la photographie en la soumettrant au modèle pictural. Le photomontage utilisé comme moyen de résistance sont aussi une réaction à la peinture dont il dénonce avec Raoul Hausmann et Hannah Höch l’abstraction croissante, le vide conceptuel, la coupure avec la réalité. Il contribue aussi dans une perspective révolutionnaire à rendre visible des situations sociales et politiques imprésentable par la photographie.

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Méthode de travail 

Il faisait photographier les documents dont il avait besoin pour les utiliser dans un travail de montage. Il est soutenu par Aragon qui disait de lui  » En face de la décompostion des apparences dans l’art moderne, renaissait ainsi sous les aspects d’un simple jeu un nouveau goût nouveau, vivant, de la réalité. Ce qui faisait la force et l’attrait des nouveaux collages, c’était cette espèce de vraisemblance qu’elle empruntait à la figuration d’objets réels, jusqu’à leur photographie. L’artiste jouait avec le fu de la réalité. Il redevenait le maître de ces apparences où la technique de l’huile l’avait peu à peu se perdre et se noyer »

L’art ainsi appliqué directement à la politique sans ambiguité reste de nos une façon de fonctionner pour un artiste assez mal interprété par la critique d’art. il est plutôt classé dans le domaine de la caricature.

Nouvelle usage de la photographie :

Mais vers la fin de la guerre en Allemagne, plusieurs hommes (Grosz, Heartfield, Max Ernst), dans un esprit bien différent des cubistes collant un journal ou une boîte d’allumettes au cœur du tableau, histoire de reprendre pied dans la réalité, plusieurs hommes étaient amenés, dans leur critique de la peinture, à employer cette photographie même qui lançait son défi à la peinture à des fins poétiques nouvelles, détournant la photographie de son sens d’imitation pour un usage d’expression. Ainsi naquirent ces collages, différents des papiers collés du cubisme, où l’élément collé se mêlait parfois à l’élément peint ou dessiné, où l’élément collé pouvait être aussi bien une photographie qu’un dessin, qu’une figure de catalogue, un cliché plastique quelconque.

En face de la décomposition des apparences dans l’art moderne, renaissait ainsi sous les aspects d’un simple jeu un goût nouveau, vivant, de la réalité. Ce qui faisait la force et l’attrait des nouveaux collages, c’était cette espèce de vraisemblance qu’elle empruntait à la figuration d’objets réels, jusqu’à leur photographie. L’artiste jouait avec le feu de la réalité. Il redevenait le maître de ces apparences où la technique de l’huile l’avait fait peu à peu se perdre et se noyer. Il créait des monstres modernes, il les faisait parader à son gré dans une chambre à coucher, sur les montagnes de la Suisse, au fond des mers. Le vertige dont parle Rimbaud s’emparait de lui, le salon au fond d’un lac de la Saison en Enfer devenait le climat habituel du tableau..

Combinaison des éléments

Au-delà de ce point d’expression, de cette liberté du Peintre avec le monde réel, qu’y a-t-il ? Cela s’est passé, dit Rimbaud, je sais aujourd’hui saluer la Beauté. Qu’entendait-il par-là ? On peut en discuter longtemps encore. Les hommes dont nous parlons ont subi des destins divers. Max Ernst met toujours aujourd’hui son point d’honneur à n’être pas sorti de ce décor lacustre, où, avec toute l’imagination qu’on voudra, il combine encore à l’infini les éléments d’une poésie qui a sa fin en elle. On sait ce qu’il est advenu de Georges Grosz. Aujourd’hui nous fixerons plus particulièrement le destin de John Heartfield, dont l’A.E.A.R. présente à la Maison de la Culture une exposition où il y a de quoi rêver et de quoi serrer les poings.
John Heartfield sait aujourd’hui saluer la beauté. Comme il jouait avec le feu des apparences, la réalité prit feu autour de lui. Dans notre pays d’ignorants, on sait trop peu qu’il y a eu des soviets en Allemagne. On sait trop peu quel magnifique, quel splendide bouleversement de la réalité ont été ces jours de novembre 1918 où le peuple allemand, et non pas les armées françaises, a mis fin à la guerre à Hambourg, à Dresde, à Munich, à Berlin. Ah, il s’agissait bien alors du faible miracle qu’est un salon au fond d’un lac, quand sur les automitrailleuses les grands marins blonds de la mer du Nord et de la Baltique parcouraient les rues avec des drapeaux rouges! Puis les hommes-en-habit de Paris et de Potsdam s’entendirent, Clemenceau rendit au social-démocrate Noske les mitrailleuses qui armèrent les bandes des futurs hitlériens. Karl et Rosa tombèrent. Les généraux réencaustiquèrent leurs moustaches. La paix sociale fleurit, noire, rouge et or, sur les charniers béants de la classe ouvrière.

Histoire 
John Heartfield ne jouait plus. Les bouts de photographies qu’il agençait naguère pour le plaisir de la stupeur, sous ses doigts s’étaient pris à signifier. Très vite, à l’interdit poétique s’était substitué l’interdit social, ou plus exactement, sous la pression des événements, dans la lutte où l’artiste se trouvait pris, ces deux interdits s’étaient confondus : il n’y avait plus de poésie que de la Révolution. Années brûlantes où, la Révolution abattue ici, là triomphante, surgissent de la même façon à l’extrême pointe de l’art, en Russie Maïakovski, en Allemagne Heartfield. Et ces deux exemples, sous la dictature du Prolétariat, sous la dictature du Capital, parti de plus incompréhensible de la poésie, de la forme dernière de l’art-pourquelques-uns, aboutissent à la plus éclatante illus­tration contemporaine de ce que peut être l’art pour les masses, cette chose magnifique et incompréhensiblement décriée.
Comme Maïakovski clamant au haut-parleur ses poèmes pour dix mille personnes, comme Maïakovski dont la voix roule de l’océan Pacifique à la mer Noire, des forêts de la Karélie aux déserts de l’Asie centrale, la pensée, l’art de John Heartfield ont connu cette gloire et cette grandeur d’être le couteau qui pénètre dans tous les cœurs. On sait que c’est d’une affiche faite pour le Parti Communiste Allemand par Heartfield, et qui portait un poing dressé, que le prolétariat d’Allemagne a pris le geste de « Front Rouge », dont les dockers de Norvège saluèrent le passage du Tcheliouskine, dont Paris accompagna les morts du 9 février, dont à Mexico hier encore au cinéma je voyais la foule immense des grévistes encadrer l’image gammée de Hitler. C’est un des soucis constants de John Heartfield que d’exposer à côté des originaux de ses photomontages les pages de l’A.I.Z., journal illustré allemand, où ils sont reproduits, parce que, dit-il, il faut montrer comment ces photo­montages pénètrent dans les masses.
C’est bien pourquoi tout le temps de la « démocratie » allemande, sous la constitution de Weimar, la bourgeoisie allemande a poursuivi devant ses tribunaux John Heartfield. Et pas une fois. Pour une affiche, une couverture de livre, pour irrespect à la croix de fer ou à Emil Ludwig… Quand elle a liquidé la « démocratie », son fascisme a fait mieux que poursuivre : vingt ans du travail de John Heartfield ont été détruits par les nazis.
Dans l’exil à Prague, ils l’ont traqué encore. A la demande de l’ambassade d’Allemagne, la police tchécoslovaque a fait fermer l’exposition même qui est actuellement aux murs de la Maison de la Culture à Paris, qui est tout ce que l’artiste a fait après la venue de Hitler au pouvoir, et où l’on reconnaît déjà les images classiques, comme cette admirable suite du procès de Leipzig, de laquelle ne pourront jamais se passer les manuels d’histoire de l’avenir, quand ils raconteront l’épopée de Dimitrov. Parlant aux écrivains soviétiques, Dimitrov s’étonnait récemment que la littérature n’ait ni étudié ni utilisé « ce formidable capital de la pensée et de la pratique révolutionnaires » qu’est le procès de Leipzig 1 ». Parmi les peintres, il est au moins, en Heartfield, un homme que ce reproche ne touche pas, et qui est le prototype et le modèle de l’artiste antifasciste. Depuis Les Châtiments et Napoléon le Petit, aucun poète n’avait atteint les hauteurs où voici Heartfield face à Hitler. Car aussi bien, dans la peinture et le dessin, les précédents manquent-ils malgré Goya, Wirtz et Daumier.

Valeur d’un type de beauté pour une époque
John Heartfield « sait aujourd’hui saluer la beauté ». Il sait créer ces images qui sont la beauté même de notre temps, parce qu’elles sont le cri même des masses, la traduction de la lutte des masses contre le bourreau brun à la trachée de pièces de cent sous. Il sait créer ces images réelles de notre vie et de notre lutte, poignantes et prenantes pour des millions d’hommes, et qui sont une part de cette vie et de cette lutte. Son art est un art suivant Lénine, parce qu’il est une arme dans la lutte révolutionnaire du prolétariat. John Heartfield sait aujourd’hui saluer la beauté. Parce qu’il parle pour l’énorme foule des opprimés du monde entier, et cela sans abaisser un instant le ton magnifique de sa voix, sans humilier la poésie majestueuse de son imagination colossale. Sans diminution de la qualité de son travail. Maître d’une technique qu’il a pleinement inventée, jamais bridé dans l’expression de sa pensée, avec pour palette tous les aspects du monde réel, brassant à son gré les apparences, il n’a d’autre guide que la dialectique matérialiste, que la réalité du mouvement historique, qu’il traduit en blanc et noir avec la rage du combat.

Voir aussi biographie 

John Heartfield : Photomontages politiques 1930-1938 par David Evans, Emmanuel Guigon, Carlos Pérez, et Franck Knoery

 

 

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