Joël Besse suspendre le temps

Joël Besse est un artiste des plis et replis complexe et géométriques ; Il colle des petites bandes ou carré de papiers de couleurs. Il naît dans ce travail de collage et pliages d’étranges objets qui pourraient être attribués à des sculptures. Mais pour Joël Besse se sont des « modules » des éléments simples qui construisent le tableau avec des éléments identiques.

Au commencement, pour Joël Besse, il y a ces plis et replis, souvent complexes et presque toujours géométriques, qui animent de petites bandes ou carrés de papier comme pour les éveiller à eux-mêmes. La couleur, posée selon le cas avant ou après pliages, participe à l’aventure. Naissent ainsi, de cette matière souple et pourtant si rebelle sous les doigts de l’artiste, de bien étranges objets. On pourrait y voir des maquettes miniatures de sculptures ; mais pour Joël Besse ce ne sont que des « modules », les éléments simples sont il a besoin pour construire son tableau et qu’il lui faut d’abord produire à l’identique et en grande série.

joel Besse

C’est-à-dire que la répétition des mêmes geste et schèmes plastiques est au principe du travail de l’artiste et en porte le sens. Elle n’est en rien ici un procédé d’atelier, encore moins le signe de l’abandon à une esthétique à la mode. Elle a sa raison d’être dans ce que Kandinsky appelle la « nécessité intérieure ». Tel module, parmi d’autres inventés puis rejetés, sera répété parce qu’un secret tremblement de la sensibilité aura averti l’artiste de l’impossibilité de trouver à ce module un équivalent. La démarche s’appuie sur l’idée que seul ce qui ressenti comme unique doit être légitimement et nécessairement voué à la répétition. C’est ce que montre depuis toujours la grande poésie lyrique pour laquelle chaque terme irremplaçable ne peut être que répété. Joël Besse s’inscrit dans cette tradition qui fait du cœur l’organe amoureux de la répétition. C’est un lyrique visuel et tactile. Le module qui a été retenu tire sa singularité inéchangeable d’émotions indicibles qui, nées d’un savoir un instant entrevu, se sont logées à tout jamais dans le creux de ses plis. On comprend que l’artiste ne puisse que vouloir reproduire ce module en série. Une première fois ne suffit pas. En présence de cette forme ailée tout frémissante encore d’un vécu qui ne peux à rien comparer, la répétition est la seule réponse capable de maintenir dans l’être ce vécu singulier enclos dans son symbole. Mais, ce faisant, elle ne se contente pas d’ajouter une seconde et ne troisième fois à la première. Elle élève le premier module de la série à la « nième » puissance, lui donnant, ainsi qu’à son contenu insondable, l’aura du sacré. Sous ce rapport, la répétition se renverse. Elle n’est plus simple sommation. Elle devient actualisation sent fin dans la série (du moins en théorie) du potentiel inépuisable que possède le module initial. C’est celui ici maintenant, qui répète à l’avance tous ceux qui vont suivre. On est donc pleinement dans l’ordre de la commémoration religieuse, où ce ne sont pas les rites qui répètent l’événement fondateur, mais ce dernier, qui dès l’origine, les répète.

Aussi comme un rite toujours recommencé, les modules déployés en longue série dans l’atelier relèvent-t-ils, avec la vérité qui brûle en eux, d’un temps immobile, celui de l’origine et de l’éternel retour sur lui-même. L artiste le sait, qui en vient souvent à parler des la répétition comme d’un moment d’éternité où l’esprit peut enfin rentrer en possession de lui-même.
C’est cependant dans le tableau que la répétition se donne véritablement corps. Les modules y trouvent leur destination. Ils sont juxtaposés de façon à couvrir entièrement la surface du support. Le choix de format particulièrement neutres comme le carré, indique d’emblée que le champ de la répétition pourrait, nonobstant les limites matérielles du cadre, s’étendre à l’infini. A présent, sous le regard, tous les modules coexistent, hors de toute condition de succession dans le temps, et d’après laquelle l’un jouirait de la position de modèle et les autres de la ressemblance de copies. Tous sont devenues contemporaine les uns les autres. La répétition est donc bien ici un moment d’éternité. Mais elle risque aussi de perdre son objet et se nier elle-même dans une affirmation réitérées et stérile d’un être en soi qui ne serait dans ce cas que l’envers d’un Non-être. Le tableau n’exprimant plus que l’identité absolue, serait quant à lui, privé de toute tension.

D’où la nécessité pour que la répétition soit possible d’introduire en elle la différence. Joël Besse en est conscient. Ses modules ont une force plastique capable de créer et d’entretenir le trouble, ou le mieux, la différence qui bien que contraire à la répétions en est la vitalité. Il y a d’abord l’instabilité naturelle des matériaux dont ils sont faits. Elle communique à leur plis, pourtant habités par une même pensée, cette vibration du sensible qui est le propre de l’individualité. Mais, il y a aussi la configuration commune des modules eux-mêmes, qui se révèle paradoxalement source de diversité. Elle impose en effet à l’artiste une logique des combinaisons lors du positionnement des premiers modules sur le plan, laquelle a pour résultat d’introduire entre eux des différences d’ordre topologique. Ainsi émergent sous nos yeux des structures qui, si elles sont appelées à se répéter, donnent cependant une impression de vie foisonnante. Tout semble devenir rythmes, emboîtés les uns dans la autres, évoquant les jeux subtiles d’une musique minimaliste.

La couleur intervient dans cette dialectique de la répétition et de la différence pour en exalter le lyrisme. Elle caresse tous les plis, mais seulement en leurs endroits les plus offerts à la vue ; comme s’il fallait préserver leur part d’ombre et d’intimité, peut être pour la rendre par contracte plus fascinante. En ce sens, la couleur sert la répétition. Mais elle ouvre aussi le territoire à la différence, car elle module à l’infini la perspective dont on peut jouir sur les plis de leurs profondeurs multiples.

Dans les bruissements innombrables qui parcourent les tableaux de Joël Besse, on entend, en manière de basse continue, le gémissement alternatif de la mer toujours recommencée.

Fernand Fournier

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